38.
Assis sur le siège arrière, le jeune homme restait silencieux. Winter voyait le reflet des néons passer sur son visage sans qu’il cille des paupières. La laisse, en revanche, ne brillait plus entre ses mains, car elle avait été remplacée par une paire de menottes.
Ils le firent entrer par l’arrière du bâtiment et monter dans une cellule. Après quoi, ils se retrouvèrent dans le bureau de Winter. Celui-ci était trop sur les nerfs pour se risquer dans une grande salle de réunion. Il fumait, tambourinait sur sa table de travail et regardait tous les visages, y compris le plus triste de tous, celui d’Aneta Djanali.
Ce n’était pas le moment de sabler le champagne.
— On s’occupe du jeune, hein ? lança Cohen, qui était rarement présent en de telles occasions, car il s’en tenait en général à son propre domaine, celui des interrogatoires.
— Qu’est-ce qu’on fait de Bielke ? demanda Johan Setter en s’adressant à Winter. Si c’est Mattias le coupable.
— C’est lui, dit Winter, mais il n’est pas le seul.
— Dans les deux cas ? s’étonna Setter.
— Non, il était trop jeune lors du premier, coupa Aneta.
— Il avait déjà seize ou dix-sept ans, objecta Setter, et il faisait un mètre quatre-vingt-quinze, si je me souviens bien.
— C’est Bielke qui a tué Beatrice, dit Winter. Il ne l’a pas avoué mais c’est écrit entre les lignes de sa lettre à sa femme et, si nous lui posons encore la question, il finira par le reconnaître. Il l’avouera quand il saura ce qui vient de se passer, affirma-t-il en tirant une bouffée de son cigarillo, regardant par la fenêtre puis de nouveau à l’intérieur de la pièce.
— Pour quelle raison ? demanda Setter, toujours en train de jouer le rôle de celui qui cherche à savoir le pourquoi et le comment des choses.
— On sait que Bielke était un habitué des… activités de cette maison. Nous n’y avons certes trouvé personne, mais nous savons. Nous avons vu.
Il pensa de nouveau à Halders et s’aperçut qu’Aneta faisait de même. C’était Halders qui avait vu.
— Nous savons que Beatrice fréquentait cet endroit, reprit-il. Nous ne savons pas exactement pourquoi mais nous pouvons nous en douter. Beatrice allait là-bas, il y a cinq ans, peu avant sa mort.
— Pourquoi Bielke l’a-t-il tuée ? s’obstina Setter.
Mon Dieu, pensa Aneta Djanali. Dis-lui pourquoi les humains se tuent les uns les autres, comme ça on le saura une fois pour toutes et le monde sera un paradis. Bielke l’a tuée parce que c’est un être mauvais, ou malade, ou les deux à la fois. Il ne lui suffisait pas de la voir derrière la paroi de verre. Il en voulait plus.
Elle entendit Winter répondre :
— Il ne l’a peut-être pas fait exprès. Il a pu s’agir d’un concours de circonstances. Il est malade, cet homme.
Comme son fils, si c’est bien son fils, songea Aneta. Tel père tel fils.
Mais c’est de Fredrik qu’il s’agit, maintenant.
— La seule raison de notre présence ici, à présent, c’est Fredrik qu’il faut retrouver, dit Aneta. Je pose donc la question : qu’est-ce qui peut nous y aider, dans ce qui vient de se passer ?
— C’est bien de ça qu’on parle, répondit Setter.
— Ah bon.
— Tout est lié, pas vrai ? Qu’est-ce que Halders a pu voir, dans cette maison, qui a entraîné sa disparition ?
— Et celle de Samic, compléta Bergenhem. Pourquoi a-t-il disparu, lui aussi ?
— Il reste encore un grand point d’interrogation, reprit Winter en jetant un coup d’œil en direction d’Aneta, peut-être en partie pour s’excuser. Bielke a-t-il violé sa propre fille ou est-ce Mattias qui l’a fait ?
— Il aurait violé sa sœur – ou demi-sœur ? s’étonna Sara Helander.
— Peut-être ne le savait-il pas à ce moment-là, coupa Ringmar, si c’est vraiment le cas.
— S’il a été capable d’assassiner Angelika et Anne, il a pu faire ça également, objecta Setter. Mais ce que je me demande encore une fois, c’est : Pourquoi ?
À titre de punition, pensa Winter. Mattias les a punies pour une raison quelconque. Pour quelque chose qu’elles avaient fait. Pour avoir été danseuses de strip-tease, peut-être. Voire plus que ça. Mais comment l’avait-il appris ? Était-ce quelqu’un qui le lui avait dit ? Et qu’avait-il à voir là-dedans. L’avait-il constaté de ses propres yeux ? Était-il lui-même allé dans cette maison ? Avait-il vu Kurt Bielke ? Ou la… fille de celui-ci ? Était-elle là à ce moment là ? Non. Ou alors… y était-elle allée sans que son père le sache ? Bielke avait-il fait quelque chose qui avait entraîné le viol de sa fille ? Par quelqu’un qui voulait le punir, lui ? Et qui se servait de sa fille ? Quelqu’un qui… le tenait d’une façon ou d’une autre ? Qui savait ce qu’il avait fait.
Cinq ans auparavant, c’était Beatrice. Elle était venue là. Mais d’autres aussi. Samic, par exemple. Samic. Où avait-on encore vu Samic ? En compagnie de qui ? Il y avait une femme, là-dedans. Était-ce elle, la mère de Mattias ?
Mattias était aussi victime, de bien des façons. Il voulait attirer l’attention et recherchait… ceux qui étaient partie prenante de… ce jeu. Les jeunes filles, par exemple. Peut-être pensait-il qu’elles étaient responsables de ce qui était arrivé à Jeanette et de la rupture de leurs relations. Les jeunes filles… mais aussi Kurt Bielke. C’était dirigé contre Kurt Bielke. Matthias savait-il ce qui était arrivé à Beatrice ? Car il ne l’avait pas assassinée, elle, c’était impossible.
C’était Mattias qui avait caché l’appareil photo dans la voiture de Bielke. C’était Mattias qui s’était introduit chez les Hansson, à la recherche de quelque chose susceptible de le trahir. Non. Quelqu’un d’autre. Samic ? Celui-ci avait-il connaissance des photos prises dans le bar ?
Mattias pouvait avoir tué le petit ami d’Angelika, peut-être parce que celui-ci le connaissait et commençait à avoir des soupçons.
Quand ils procéderaient à une perquisition au domicile de Mattias, ils trouveraient l’appareil qui avait pris les photos des jeunes filles assises au bar, et ils n’auraient pas de mal à l’identifier du fait du léger défaut de l’objectif. Ils trouveraient aussi le portable d’Anna Nöjd.
Autant d’idées qui lui traversèrent l’esprit en l’espace de quelques secondes.
Mattias leur fournirait peut-être toutes les réponses, à moins que ce ne soit quelques questions supplémentaires. Bielke parlerait, peut-être trop.
À ce moment, quelqu’un dit : « Samic ».
— Pardon ?
— Si nous parvenons à retrouver Samic, nous trouverons aussi Fredrik, dit Aneta Djanali.
Samic, Samic, Samic. Winter n’arrêtait pas de se creuser la cervelle, comme les autres.
Il n’avait pas été possible de parler avec le jeune homme. Il se murait dans son silence et Winter ne parvenait pas à forcer le barrage.
Bielke n’avait pas encore avoué, mais ne tarderait pas à le faire. D’ailleurs, il parlait, lui. Il s’enquérait de sa fille, jamais de sa femme. À certains moments, la folie se lisait dans ses yeux. Cohen et Winter tentaient de se concentrer sur ce qui s’était passé dans la maison de l’autre côté du fleuve, au cours de l’heure qui avait suivi l’arrivée de Halders. Car il y était forcément entré, d’une façon ou d’une autre.
— Je ne suis au courant de rien.
— Vous étiez là, dit Winter.
Soudain, Bielke le fixa du regard et ne le lâcha plus. Son front semblait contenir des pensées qui risquaient à tout moment de faire éclater son crâne et de se répandre sur la table. Winter attendait.
— Vous étiez là, répéta-t-il avec tout le calme possible.
— Oui, dit Bielke. Oui.
C’était un premier aveu.
— Où étiez-vous ?
— Dans la maison.
— Où ça, dans la maison ?
— Au sous-sol.
Son regard s’était éteint ou c’était tout comme. Son débit était haché. La fatigue l’emportait maintenant sur le reste.
— Qui d’autre y avait-il, au sous-sol ?
— Quoi ?
— Qui d’autre y avait-il, au sous-sol ?
— Elle.
— Qui ça : elle ?
— Je ne sais pas.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— Je ne sais pas. Une jeune fille.
— Qu’est-ce qu’elle faisait ?
— Quoi ?
— Qu’est-ce qu’elle faisait ?
— Elle… elle dansait.
— Comme ça : dansait ?
Bielke ne comprenait pas. Pour lui, il n’existait qu’une sorte de danse et il n’y pensait pas comme à une danse. Ce n’était qu’un mot, une façon de s’exprimer.
— Quel genre de danse ? répéta Winter.
— Je ne sais pas.
— Elle dansait seule ?
— Oui, seule.
— Qui y avait-il d’autre ?
Bielke ne répondit pas. Il semblait chercher du regard quelqu’un qui n’était pas là. Il n’y avait que Winter et Cohen, un magnétophone et une caméra vidéo.
— Où est-il ? demanda soudain Bielke en levant la tête.
— Qui ça ?
— Lui.
— Mattias ? Était-il là, lui aussi ?
— C’est mon fils.
— On le sait.
Bielke hocha la tête.
— Était-il là ? répéta Winter.
— Je ne sais pas.
— Qui d’autre y avait-il ?
Bielke marmonna quelque chose que Winter n’entendit pas.
— Pardon ?
Bielke murmura de nouveau dans sa barbe.
— Pouvez-vous répéter ce que vous venez de dire ?
— Elle était là, elle aussi.
— Qui ça, elle ?
— Ça fait longtemps qu’elle est avec lui. Elle a emmené le garçon chez lui. Je ne le savais pas, au début.
— Mattias était-il dans cette maison ?
— Il prêtait la main de temps en temps. Je l’ai vu une ou deux fois, dit Bielke en fixant le mur derrière Winter. Il ne le savait pas, alors. Pas encore. À propos de moi. Qui j’étais.
— Il vous a vu ?
— Quoi ?
— Vous a-t-il vu ?
— Non, je ne crois pas.
Tu te trompes, pensa Winter.
Bielke murmura quelque chose.
— Pouvez-vous répéter ce que vous avez dit ?
— Parti en voiture avec lui, dit Bielke d’une voix à nouveau monocorde et sans expression.
— Parti en voiture ? Avec qui ? demanda Winter.
Bielke marmonna quelque chose en ayant l’air de réfléchir.
— Parti en voiture avec qui ? répéta Winter.
— Celui qui est arrivé.
— Qui est-ce qui est arrivé ?
— Lui.
— Qui ça : lui ?
— Je ne sais pas.
— Qui est-ce qui est parti en voiture ?
— Quoi ?
— Qui est-ce qui conduisait la voiture ?
Bielke parut réfléchir à nouveau à sa réponse, puis il se décida.
— Johan.
Johan Samic, pensa Winter. Samic, Samic, Samic.
— C’est lui qui a fait ça, dit Bielke d’une voix plus assurée, comme s’il se soulageait enfin. C’est Samic.
— Qui a fait quoi ?
— Ma petite fille.
Il éclata soudain en sanglots.
Winter attendit, laissant le magnétophone tourner. Cohen observait Bielke, qui finit par lui rendre son regard et s’essuya les yeux avec le revers de la main droite.
— Il a fait du mal à ma petite fille.
— Jeanette ?
Bielke hocha la tête.
— Pouvez-vous répéter ?
— Il a fait du mal à ma petite Jeanette.
— Pourquoi ça ?
Bielke renifla puis s’essuya de nouveau les yeux.
— Il savait.
— Qu’est-ce qu’il savait ?
Winter sentit un coup de froid lui passer sur la nuque, comme un souffle de vent glacé.
— Il se servait de ça, dit Bielke. Contre moi. Contre… nous.
— De quoi Johan Samic se servait-il contre vous ?
Bielke parut de nouveau perdre conscience et s’éloigner vers d’autres contrées.
— Que savait Johan Samic sur votre compte ?
— Ce que j’avais fait.
Bielke regarda Winter avec un mélange de concentration et de confusion dans les yeux.
— Il disait qu’il pouvait faire ce qu’il voulait.
— Pourquoi ça ?
Bielke marmonna de nouveau quelque chose.
— Pourquoi ça ? répéta Winter.
— Parce que je l’ai tuée.
Bielke avait prononcé ces mots la tête basse. Ses cheveux étaient aussi blancs que les murs de la pièce.
— Pouvez-vous répéter ?
— Je l’ai tuée, dit Bielke en regardant Winter et Cohen. Ce n’est pas de ma faute. Je la suivais, c’est tout. Ce n’est pas de ma faute. Vous le savez bien. Tout le monde comprend ça.
— Vous avez tué Angelika Hansson ? demanda Cohen.
— Qui ça ?
— Vous avez tué Angelika Hansson ?
— Non, non. Ce n’est pas moi.
— Vous avez tué Anne Nöjd ?
— Pas moi.
Bielke ajouta quelque chose à voix basse.
— Pardon ?
— … parti avec lui. Il était là après. Demandez-lui.
— Je n’ai pas compris ce que vous venez de dire.
— Quand ils sont partis en voiture. Demandez à Samic.
— Demander quoi ?
— À propos de Benny. C’est lui qui conduisait.
— Be… Benny ?
— Benny.
— Quel Benny ?
— Benny. Benny Boy.
Winter était à l’extérieur de la salle d’interrogatoire, le visage en feu. Il s’était levé brusquement et était sorti, laissant Cohen seul avec Bielke.
Il prit l’ascenseur pour aller retrouver Setter et Bergenhem, qui se consacraient aux transactions commerciales du passé mais aussi du présent.
Bergenhem était au travail.
— J’ai besoin de savoir ce que vous avez sur Benny, dit Winter. Benny Vennerhag.
— Vennerhag ?
— Samic aurait fait des affaires avec un certain Benny Vennerhag ?
— Je ne connais pas ce nom.
— Cherche un peu, bon Dieu ! cria Winter.
— Bon, d’accord, du calme.
Winter voulut prendre possession du clavier de Bergenhem.
— Laisse-moi faire, Erik, merde ! protesta ce dernier en se mettant à chercher dans les fichiers des noms connus de leurs services.
— Eh bien, voilà, finit-il par annoncer. Je ne peux pas di…
— Ça me suffit, déclara Winter, qui croisa Ringmar en regagnant son bureau. Viens avec moi, lui cria-t-il par-dessus son épaule.
Ringmar entra dans le bureau et le vit se mettre à fouiller dans un tas de photos.
— Qu’est-ce qu’il y a, Erik ?
Winter tenait entre ses mains les clichés du jour où Angelika fêtait la fin de ses études. C’était Lars Olof Hansson qui tenait l’appareil. Devant celui-ci, la femme, de profil. Il savait qu’il ne la rencontrerait jamais. Si elle ne venait pas d’elle-même, maintenant que Mattias était là.
Et le jeune, à côté.
Un visage brun qui pouvait être celui de Johan Samic ou de quelqu’un d’autre.
Mais oui, bon sang, c’était Samic.
Un homme blond, non loin d’eux, avec une barbe et des lunettes noires, que Lars Olof Hansson ne connaissait pas non plus.
Pourtant, son air lui rappelait quelque chose. Sa barbe paraissait bizarre, ses lunettes…
Winter regarda alors l’autre photo, celle qui avait été prise en même temps par Cecilia, l’amie d’Angelika, qui ne savait rien de la maison de l’autre côté du fleuve. Qui n’était sûrement pas au courant de son existence, car elle aurait été incapable de le cacher à moins d’être folle, elle aussi. Il fallait qu’ils aillent lui parler à nouveau.
La femme, photographiée de face. Sur le cliché de Cecilia, le jeune n’apparaissait pas, peut-être avait-il avancé d’un pas. C’était suffisant. L’homme brun avait disparu, mais il y avait plus de monde, d’autres visages, sur cette photo-là. Il avait déjà vu cela.
Il fixa intensément le cliché et sortit à nouveau sa loupe. Il examina l’un des très gros agrandissements qu’il avait fait faire et revint ensuite à la première photo, avec sa loupe. Il savait maintenant ce qu’il cherchait. La différence décisive. Soudain, il eut l’impression que la photographie s’ouvrait devant ses yeux et qu’il voyait plus profondément à travers ce groupe de personnes. Tout au fond, il apercevait maintenant une tête blonde, de profil, uniquement le haut du visage : un front, des yeux, un nez et rien d’autre. Il n’avait plus besoin de loupe, désormais, pour savoir qui se tenait là, à l’arrière-plan, sous un nuage de ballons. Benny.
Il portait une fausse barbe. Samic, lui, avait une perruque. Une plaisanterie de mauvais goût ou pire encore.
Samic. La femme. Vennerhag. Ils n’étaient pas venus là pour Angelika, du moins pas en premier lieu. Elle était certes en train de fêter sa réussite scolaire, mais Mattias aussi. Il était dans la même école, quoique pas dans la même classe. Winter le savait maintenant.
Jour de fête pour Mattias.
C’était pour lui qu’ils étaient venus.
Et cette femme était sa mère.
Dieu seul savait quelle relation elle entretenait avec Samic. Avec Benny Boy. Sauf que cela n’avait plus d’importance.
Ringmar était au volant et Winter le pilotait à travers les rues paisibles de la ville. Quelqu’un était en train de faire un barbecue de minuit, dans un jardin. Il vit une grande flamme s’élever.
Sa douleur au coude se réveilla brusquement.
— Tu devrais te faire plâtrer, conseilla Ringmar.
Winter ne répondit pas et se contenta de fumer, le regard perdu dans la nuit.
— N’est-ce pas la maison de Fredrik, là-haut ? demanda Ringmar.
— De l’autre côté. Là-bas.
Ils passèrent devant, les fenêtres n’étaient pas éclairées.
— Tu descends ici et tu prends à gauche, dit Winter en se balançant d’avant en arrière et se tenant le coude.
— Doucement, Erik.
— Est-ce que tu veux qu’on retrouve Fredrik, oui ou non ?
— Évidemment…
— Alors, vas-y.
Il avala une bouffée de fumée et détacha sa ceinture de sécurité au moment où Ringmar se garait devant la maison de Vennerhag. Là, il y avait de la lumière aux fenêtres. Ils descendirent tous les deux en même temps et ils entendirent du bruit, quelque part. Un rire. De l’eau qui coulait.
— Il est à l’arrière, dit Winter, je connais le chemin.
Ringmar le suivit jusque sur la pelouse, de l’autre côté de la maison, et ils virent un homme en maillot de bain qui tenait un verre à la main. Une femme nue se hissa avec souplesse sur le bord de la piscine.
L’homme les reconnut aussitôt et alla poser son verre sur la table, sous le parasol. La femme, elle, avait placé ses bras en croix devant son corps, ruisselant d’eau. Ringmar vit Winter accélérer l’allure. L’homme en maillot de bain commença à dire quelque chose.
— Erik, quelle…
Le crâne de Winter vint frapper Vennerhag à la poitrine. La femme poussa un cri tandis que Vennerhag émettait le même genre de bruit que lorsqu’on presse un matelas pneumatique pour expulser l’air qu’il contient. Il vacilla en arrière. Winter tenait son bras droit dans la même position que s’il était toujours soutenu par l’écharpe qui gisait maintenant sur le sol, près de Ringmar, cloué sur place. La femme se mit à crier à nouveau. Vennerhag se pencha en avant et lui assena un coup de pied entre les jambes. Du sang jaillit de sa bouche. Winter ne s’en soucia pas et le frappa violemment aux genoux avec sa chaussure. Il tomba alors à la renverse avec un bruit de rameaux brisés, puis glissa dans la piscine. Winter le suivit d’un bond et lui maintint la tête sous l’eau avec son bras valide, avant de la relever. Ringmar vit les yeux exorbités de Benny, qui reflétaient l’éclairage de la piscine.
— Où est-il ? cria Winter en enfonçant à nouveau la tête de Vennerhag sous l’eau, puis la relevant. Où est-il, espèce de salaud ? Où est Fredrik Halders ?
La tête de Vennerhag effectua un nouvel aller et retour sous l’eau, laquelle n’avait pas le temps de nettoyer le sang qui lui coulait du nez.
Ringmar vit Winter lui donner un coup de boule sur le nez. Cette fois, il émit une sorte d’affreux râle. Il va le tuer, pensa Ringmar. Il faut que j’intervienne.
— Je vais te tuer, Benny, hurla Winter, tu sais que j’en suis capable, dit-il, s’apprêtant à décocher un coup de pied à Ringmar, qui avait sauté dans la piscine et approchait. Te mêle pas de ça, Bertil, reste où tu es !
— Attends, Erik.
— Reste où tu es !
Ringmar s’arrêta, se demandant quoi faire.
Winter tira vers lui le visage de Vennerhag.
— Pour la dernière fois, avant que je te noie : Où est-il ? Où est Halders ?
Vennerhag fit entendre un nouveau râle.
— Quoi ? quoi ? cria Winter.
Nouvelle plongée sous l’eau, suivie d’un « Noooon » gémissant de la part de Vennerhag. Son visage était défiguré par les coups, souillé de sang et déformé par la lumière qui l’éclairait par-dessous.
— Qu’est-ce que tu dis ?
Ringmar vit les lèvres de Vennerhag bouger, puis Winter se pencher en avant et Benny bredouiller de nouveau quelque chose. Winter se redressa alors rapidement, laissa le corps tomber dans l’eau et sortit de la piscine trempé jusqu’à la taille.
Ringmar tira le corps apparemment inerte de Vennerhag par-dessus le bord du bassin. La femme tremblait de tous ses membres, les mains devant le visage. Il tâta le pouls de Benny et, au bout de quelques secondes, le sentit battre faiblement. Puis il entendit une voix dans la maison. C’était Winter qui appelait une ambulance et des renforts.
Il ne tarda pas à ressortir.
— Mon portable est foutu, dit-il. Viens, on s’en va.
Ringmar regarda la femme et le corps de Vennerhag. Elle leva les yeux puis cacha de nouveau son visage dans ses mains. Elle était inconnue de lui.
— Allez, viens, Bertil. Prends le volant.
— Où va-t-on ? demanda Ringmar.
Mais Winter avait déjà contourné le coin de la maison.